Observations : |
Le héros du Diable boiteux se fait transporter par le diable sur le toit de chaque maison, pour voir ce qui s’y passe et avoir l’occasion de conter une aventure sans liaison avec ce qui précède ni avec ce qui suit. Cet ouvrage est aussi une imitation de l’espagnol el Diablo cojuelo de Luis Vélez de Guevara, mais une imitation libre, appropriée aux mœurs françaises et fécondée par l’observation originale et personnelle de l’esprit humain. Lesage n’a guère emprunté à Guevara que l’idée et le cadre du principal personnage, le diable ; il a fait une création toute nouvelle en lui donnant, suivant la remarque de Villemain, « une nature fine et déliée, malicieuse plutôt que méchante. » Dans cette œuvre où le merveilleux n’est là que pour la forme, toute une diversité d’aventures et de portraits défilent rapidement devant le lecteur, en soumettant à une critique railleuse et pleine de finesse une foule de types, tous frappants de naturel et de vérité. Imité, traduit, objet de multiples contrefaçons, Le Diable boiteux fut l'un des grands succès de librairie du XVIIIe siècle. On comprend que le public ait été séduit par cette étrange aventure d'un étudiant qui, ayant délivré un diable enfermé dans une fiole, se retrouve entraîné à sa suite à voir tout ce qui se passe sous les toits de Madrid. Or les toits de Madrid ressemblent fort à ceux de Paris, et ceux du XVIIIe siècle ne sont guère différents de ceux du XXIe : même spectacle édifiant de la cupidité des hommes, même goût des honneurs, des plaisirs défendus... À bien des égards, ce roman qui mêle avec délice les registres et les genres - du fantastique à la critique sociale, de la nouvelle au théâtre ou à la chanson - préfigure la liberté narrative du Gil Blas. |